Maniema : au sujet des propos tenus par le député MALISAWA, un juriste explique

Juriste de formation et enseignant à l’Université officielle de Kindu, maître Juive Djende explique ici ce que dit la loi par-rapport aux propos tenus récemment par le député provincial Djumaini MALISAWA.

Au sujet des propos tenus par le Député Provincial DJUMAINI Bin MALISAWA :

la justice peut-elle se saisir du cas ?
I. Liminaire 

  En date du 4 avril 2018 le député provincial DJUMAINI Bin MALISAWA, élu de la circonscription électorale de KABAMBARE (Sud de la Province du Maniema), s’est exprimé sur les ondes de la Radio Maniema Libertés (MALI) en tenant des propos suivants :

« A tous ceux qui vont tenter de manifester, n’oublier surtout pas de dire au-revoir à vos femmes, enfants et parents car vous allez recevoir des balles dans vos têtes. » 

  Ces propos ont été tenus entre la proclamation des résultats provisoires par la CENI des élections des Gouverneur et Vice-Gouverneur organisées le 28 mars 2018 et la tenue du procès en contestation des résultats de ces élections sur plainte de la Majorité Présidentielle (une partie de la MP) dont fait partie l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA. Les propos de ce député visaient à dissuader la population de la Ville de Kindu et de ses environs qui s’apprêtait à accompagner massivement à l’audience publique le Gouverneur provisoirement proclamé élu : Prosper TUNDA LUKALI KASONGO.

  La presse, les réseaux sociaux et les acteurs politiques ont tous condamnés ces propos. Nous pouvons notamment parler de la Majorité Présidentielle d’abord qui par la voix de son Coordonnateur Provincial, Monsieur Freddy KIMBAYU  a fait entendre que « la MP n’est pas d’accord avec tout discours tendant à créer un climat de trouble dans la Province du Maniema. Le Chef de l’Etat ne tolérait jamais un tel discours ». Nous pouvons aussi signaler la réaction de ses collègues députés dont 17 parmi eux se sont exprimés par la bouche de leur porte-parole l’honorable Raphaël NGUMBI en ces termes : « Nous demandons à justice d’interpeller notre collègue pour les propos qu’il a tenu contre notre population. Raphaël».

  Pour tout dire le député DJUMAINI Bin MALISAWA fait l’objet d’un lynchage médiatique depuis la tenue de ces propos qu’il y a lieu de s’interroger sur les conséquences juridiques attachées à ces propos tenus.

II. Que dit le droit ?

  Il revient ici de nous interroger en premier lieu si les propos tenus par l’honorable député provincial DJUMAINI Bin MALISAWA sont constitutifs d’une infraction (1) ; puis de savoir si les immunités parlementaires dont est couvert l’honorable MALISAWA peuvent couvrir totalement cette infraction si infraction il y a (2) ; ou si cette infraction si elle existe échappe-t-elle de la protection des immunités parlementaires totales et peut être poursuivie suivant une certaine procédure ? (3).

Répondons d’abord à la question principale car tout doit partir de là.

1. Les propos tenus par l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA sont-ils constitutifs d’une infraction ?

  Un comportement peut blesser la conscience collective sans constituer une infraction au regard de la loi. On ne peut poursuivre et punir pénalement en justice un comportement que lorsque celui-ci constitue une violation de la loi pénale. La Constitution de la RDC reprend à son article 23, la règle suivant laquelle « nulle peine ne peut être prononcée ou appliquée si ce n’est en vertu de la loi ». 
  Prononcer par la voie des ondes ces propos : « A tous ceux qui vont tenter de manifester, n’oublier surtout pas de dire au-revoir à vos femmes, enfants et parents car vous allez recevoir des balles dans vos têtes. » c’est commettre quelle infraction et s’exposer à quelle peine?

  L’article 160 du Code Pénal Congolais Livre II nous permet de répondre à cette question lorsque nous lisons que : « La menace verbale faite avec ordre ou sous condition ou la menace par geste ou emblèmes d’un attentat contre les personnes ou les propriétés punissable d’au moins cinq années de servitude pénale sera punie d’une servitude pénale de huit jours à un an et d’une amende de vingt-cinq à deux cents zaïres ou d’une de ces peine seulement ».

  L’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA peut être poursuivi pour menace sur base de cette disposition et  peut être puni notamment pour une peine de 8 jours à 1 an de prison ». Et si la justice le condamne, comme il s’agit d’une infraction intentionnelle, cela fera en sorte que son mandat prenne fin car l’article 12 de la Loi n°08/012 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces du 31 juillet 2008 dispose à son litera 9 que :

« Le mandat de député provincial prend fin par: condamnation irrévocable à une peine de servitude pénale principale pour infraction intentionnelle ». 

  Ainsi la population du Maniema pourra se débarrasser du député DJUMAINI Bin MALISAWA si évidement ses propos ne sont pas couverts par ses immunités.

2. Les propos de tenus par l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA peuvent-ils être couverts par les immunités parlementaires dont il bénéficie ?

  Pour répondre à l’ensemble de cette question et à la suivante ayons à l’esprit les dispositions de l’article 9 de la Loi n°08/012 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces du 31 juillet 2008 qui se rapporte aux propos tenus par un député provincial en qui prévoit en substance : 

« Aucun député provincial ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou vote émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Il ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée provinciale. 

En dehors de sessions, il ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée provinciale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. 

La détention ou la poursuite d’un député provincial est suspendue si l’Assemblée provinciale dont il est membre le requiert. La suspension ne peut excéder la durée de la session en cours ». 

  La réponse à cette première question se trouve à l’alinéa premier de cette disposition : 

« Aucun député provincial ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou vote émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

  C’est dire qu’il faut savoir si ces propos ont-ils été émis dans ou en dehors de l’exercice des fonctions du député DJUMAINI Bin MALISAWA ? C’est une question délicate mais l’on peut trouver une réponse en interrogeant toujours la loi. 

  Cherchons d’abord à savoir quelles sont les fonctions d’un député provincial pour savoir si ces propos s’inscrivaient dans le cadre de ses fonctions. 

  Les fonctions du député provincial peuvent être confondues avec les fonctions de l’Assemblée provinciale qui sont données à l’article 7 de la loi précitée qui dispose en ces termes : 

« L’Assemblée provinciale est l’organe délibérant de la province. Elle délibère dans le domaine des compétences réservées à la province et contrôle le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux et locaux. 

Elle légifère par voie d’édit. 

Ses membres sont appelés députés provinciaux ». 

  A la lumière de cette disposition nous pouvons répondre à notre question en disant que les fonctions d’un député provincial c’est de :

– délibérer dans le domaine des compétences réservées à la Province ;

– contrôler le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux et locaux et

– légiférer.

  Il y a à présent lieu de dire si les propos de l’honorable MALISAWA entrent dans le cadre de ses fonctions ou non. 

  En toute sincérité ses propos ne rentrent pas dans le cadre de ses fonctions. En effet le dossier ayant quitté l’Assemblée provinciale pour la justice l’honorable MALISAWA ne pouvait plus se prononcer sur ce dossier. En outre demander à la population à ne pas sortir sur la route relève du travail du pouvoir exécutif en l’occurrence le Maire de la Ville ou si l’on va plus loin le Gouverneur de Province à travers peut-être le Ministère provincial de l’intérieur. 

  Ainsi l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA a agi en dehors de l’exercice de ses fonctions et que cette infraction ne peut par conséquent pas être couverte par les immunités dont il jouit. Il peut donc être poursuivi et arrêté. Mais comment ?
3. Comment peut-on poursuivre l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA en justice pour ses propos?

  Etant donné que les propos constitutifs de l’infraction de menace tenus par l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA ont été émis en dehors de l’exercice de ses fonctions, comment peut-on poursuivre cette infraction ? 

  Les alinéas 2 et 3 de l’article 7 de la loi précitée nous permettent de répondre à cette question lorsqu’ils disposent :

« Il ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée provinciale. 

En dehors de sessions, il ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée provinciale, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ». 

  A la lumière de ces alinéas nous pouvons dire que tout dépend de l’existence d’une flagrance ou non. Tout dépend aussi de la période dans laquelle se trouve l’Assemble Provinciale : en session ou non ?

  Au sujet de la flagrance, je pense qu’elle n’existe plus même si les faits restent d’actualité. Dans ce cas il faut qu’une autorisation soit donnée par la plénière de l’Assemblée Provinciale étant dans une période de session. Pour cela il faut soit une action d’office du Procureur Général ou une plainte des victimes de cette menace. 
III. Conclusion

Les propos de l’honorable député provincial DJUMAINI Bin MALISAWA sont constitutifs de l’infraction de menace prévue et puni par l’article 160 du Code Pénal Congolais Livre II. Cette infraction n’est pas couverte par les immunités dont jouit notre député provincial, l’honorable DJUMAINI Bin MALISAWA ayant agi en dehors de l’exercice de ses fonctions parlementaires. Cette infraction peut être poursuivi soit par une action d’office du Procureur général soit à partir d’une plainte des victimes de cette menace sur base d’une autorisation de la plénière de l’Assemblée Provinciale qui est en période de session.

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