Refléxion : Le recours formulé par la MP contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Kindu : la probabilité de réussite de la démarche
A la demande de Kinduinfo.net, Notre Expert Juriste, le Chef des Travaux Maître Juve Djende donne les explications sur :
“Le recours formulé par la Majorité présidentielle contre l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Kindu : la probabilité de réussite de la démarche”
En date du 28 mars 2018 la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a organisé à Kindu l’élection des Gouverneur et Vice-gouverneur de la Province du Maniema.
A l’issue de cette élection la CENI a provisoirement proclamé Prosper TUNDA LUKALI KASONGO et Josué PATAULE KALEMA (connu sous le nom de PATASKI) respectivement élus comme Gouverneur et Vice-gouverneur.
Le 6 avril 2018 la Majorité Présidentielle (MP) a introduit une requête à la Cour d’Appel de Kindu tendant notamment à obtenir l’annulation de l’élection du Gouverneur Prosper TUNDA. La requête a été notifiée aux parties et le procès a eu lieu le 9 avril avec les débats. L’avis écrit du Ministère public a été lu le 10 avril et la Cour a rendu son arrêt en date du 11 avril 2018.
Dans son arrêt, la Cour d’Appel de Kindu a déclaré irrecevable la requête introduite par la MP en fondant l’irrecevabilité à l’absence de qualité pour agir en justice au regroupement MP.
Le même jour du prononcé de l’arrêt de la Cour la MP a, par la bouche de son superviseur, le Gouverneur ad intérim Maître Jérôme BIKENGE MUSIMBI, annoncé son intention d’introduire un recours en contestation de cet arrêt de la Cour. Cette intention d’aller à la Cour Suprême de Justice (CSJ) a été formalisée. Le Coordonnateur provincial de la MP l’a annoncé 13 avril 2018.
Désormais le dossier est en introduction à la CSJ qui doit siéger dans les prochains jours. Nous essayons à travers ces quelques lignes d’analyser les probabilités de réussite de la démarche de la MP en nous posant les questions principales suivantes :
- La législation congolaise en la matière permet-elle un recours contre une telle décision de la Cour d’Appel ?
- Si ce recours est permis, la MP pourrait-elle obtenir la recevabilité de sa demande devant la CSJ ?
- En cas de recevabilité devant la CSJ et l’annulation de l’arrêt de la Cour comment se présenterait la suite ?
- Combien de temps approximatif pourrait prendre la fin de ce parcours judiciaire ?
Nous répondons juridiquement à l’ensemble de ces questions en y ajoutant si possible des analyses politiques.
- Est-il permis un recours contre un arrêt de la Cour d’Appel se prononçant sur un contentieux électoral de résultat des élections ?
En matière des contentieux électoraux, il faut distinguer les contentieux de déclaration de candidature (autrement appelé de liste) des contentieux des résultats. Les deux contentieux différents du point de vue des conséquences attachées aux décisions qui les sanctionnent. Alors qu’un arrêt par exemple rendu sur un contentieux de déclaration de candidature est rendu en premier et dernier ressort (en termes simples ne peut faire l’objet d’un recours) ; celui rendu sur un contentieux des résultats lui n’est pas en premier et dernier ressort (en termes simples il peut faire l’objet d’un recours).
Ces affirmations sont tirées de la lecture combinée des articles 27 et 72 de la Loi n°17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée à ce jour.
En effet l’article 27 dispose que :
« Les juridictions compétentes pour connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de candidature sont :…
Les juridictions énumérées à l’alinéa précédent disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions à compter de la date de leur saisine.
Passé ce délai, le recours est réputé fondé sauf si la décision de la Commission électorale nationale indépendante est justifiée par les causes d’inéligibilité prévues par la loi.
Le dispositif de l’arrêt ou du jugement est notifié à la Commission électorale nationale indépendante et aux parties concernées et n’est susceptible d’aucun recours… ».
Signalons que cette disposition a été respectée lorsque le Candidat Prosper TUNDA avait obtenu un premier arrêt demandant à ce que sa candidature soit retenu par la CENI, aucun recours n’avait été introduit ; on était directement passé aux élections.
L’article 72 quant à lui qui se rapporte au contentieux des résultats dispose que :
« La Cour constitutionnelle proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle dans les deux jours qui suivent l’expiration du délai de recours si aucun recours n’a été introduit devant elle.
La Cour constitutionnelle, la Cour administrative d’appel, le Tribunal administratif, selon le cas, proclame les résultats définitifs des élections législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales dans les huit jours qui suivent l’expiration du délai de recours, si aucun recours n’a été introduit devant la juridiction compétente ».
Nous pouvons ainsi répondre à la première question en disant qu’il est permis d’aller en appel, d’introduire un recours, de saisir la CSJ contre l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Kindu dans le dossier Prosper TUNDA LUKALI KASONGO.
2. La MP peut-elle obtenir la recevabilité de son recours devant la Cour Suprême de Justice ?
La MP présidentielle dont la requête a été déclarée irrecevable devant la Cour d’Appel de Kindu pour défaut de qualité peut-elle obtenir la recevabilité de son recours à la CSJ ? Peut-on ne pas avoir la qualité à Kindu et l’avoir à Kinshasa ? Les juges de la Cour d’Appel de Kindu s’étaient trompés sur la qualité de la MP ?
Il va sans dire qu’il existe un principe important de tout État de droit qui est le droit d’agir en justice. Toute personne a le droit de saisir le juge et d’être entendu sur le fond d’une prétention afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Nul ne peut se faire justice soi-même. L’Etat interdit l’exécution privée afin d’éviter les violences et les abus.
Ce droit d’agir en justice est uniquement réservé aux personnes physiques et aux personnes morales reconnues (nous voudrions dire par là les regroupements des personnes jouissant de la personnalité juridique).
La lecture combinée des articles 73 de la loi électorale précitée et de l’article 4 ainsi que de l’exposé des motifs de la Loi n°04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques nous plongent dans une controverse. Un regroupement politique peut-il agir en justice ? Voyons ce que ces lois ont prévu.
L’article 4 de la loi sur les partis politiques citée ci-dessus nous renseigne que :
« Les partis politiques constitués conformément à la présente loi, sont dotés de la personnalité juridique. Ils ont droit à un égal traitement par l’Etat, les services publics et par tout détenteur de l’autorité publique.
Les autorités civiles et militaires leur assurent assistance et protection chaque fois que de besoin ».
Il va sans dire que seuls les partis politiques légalement constitués ont la personnalité juridique. La MP est un regroupement politique n’a pas de personnalité juridique. N’est pas une personne morale. L’exposé des motifs de cette même loi est éloquent lorsqu’il nous renseigne :
« Les regroupements politiques sont exclus de son champ d’application. En effet, ces regroupements sont, en réalité, des associations ou des coalitions momentanées formées au gré de la conjoncture politique, parfois sur base d’un simple protocole d’accord. Leur vie est, par essence, des plus précaires et il ne convient pas, par conséquent, de les assujettir à un formalisme excessif et rigide au risque de les vider de leur pertinence ».
Relevons toutefois que la loi électorale nous plonge dans une confusion qui convient de cerner. En effet cette loi à son article 73 dispose :
« Peuvent contester une élection dans un délai de trois jours après l’annonce des résultats provisoires par la Commission électorale indépendante
-
le candidat indépendant ou son mandataire ;
-
le parti politique ou le regroupement politique ou leur mandataire ayant présenté sa liste dans la circonscription électorale».
Comme vous pouvez bien le constater la loi électorale liste parmi les « personnes » pouvant contester une élection « le regroupement politique. Il revient à savoir contester une élection est-ce que introduire une demande en annulation en justice ? Revient-il à la loi électorale de donner la capacité d’agir en justice à une entité dépourvue de personnalité juridique ?
Les réponses à ces questions peuvent donner lieu à des débats interminables. En tout état de cause, nous pensons que contester une élection ne signifie pas nécessairement introduire une demande de son annulation en justice. Un regroupement politique qui est une réalité sociologique et non juridique peut contester les résultats d’une élection par une déclaration à la presse et que seuls les partis politiques qui constituent ce regroupement peuvent agir en justice pour en demander l’annulation. Ceci d’autant plus que la loi électorale ne peut être évoquée pour justifier la capacité d’agir d’un regroupement politique, cette capacité étant traitée par une loi spéciale.
Nous pensons que ce procès à la CSJ pourra permettre une évolution en la matière étant donné que plusieurs décisions judiciaires ont été rendues en violation de ces principes fondamentaux. Il n’est pas normale qu’une entité sans personnalité juridique, fonctionnant sur base d’un accord privé sans détails sur son mode de fonctionnement notamment sur les personnes qui peuvent agir à son compte puisse poser des actes juridiques. Quelle est par exemple la place du Secrétaire Général de la MP par rapport à l’Autorité Morale de la MP ? C’est quoi d’ailleurs une « Autorité Morale » ?
En réponse à cette deuxième question, notre réponse transparaît d’ailleurs entre les lignes, nous disons que la MP ne pourrait pas obtenir la recevabilité de son recours devant la CSJ.
- En cas de recevabilité devant la CSJ et l’annulation de l’arrêt de la Cour comment se présenterait la suite ?
En dépit des arguments développés ci-dessus, la CSJ peut estimer que la requête de la MP devait être reçue par le juge de la Cour d’Appel. Dans ce cas qu’est-ce qui doit se passer ?
Les règles ordinaires en matière de compétence judiciaire doivent s’appliquer. Le juge de la CSJ doit répondre à la demande en recours dans un premier temps. Dans le cas d’espèce elle doit répondre si le juge de la Cour d’Appel de Kindu avait raison ou non de rejeter la requête de la MP. La Cour doit dire d’abord trois choses : si l’appel (recours) est régulier (ou irrégulier) en la forme et recevable (ou irrecevable), avant de le dire fond » (ou non fondé).
Une petite explication s’impose à nos lecteurs non juristes. Le recours est régulier s’il a été formé dans le délai et devant la juridiction habileté à le recevoir. Dans le cas d’espèce il fallait introduire le recours dans les trois (3) jours qui suivent la signification de l’arrêt. Nous pensons que la MP a pris des dispositions utiles quant à ce.
Le recours est recevable si la personne qui l’a introduit a la capacité et que les avocats qui ont agi au nom de la personne morale ont été dûment mandatés c’est-à-dire ont la procuration de la personne habileté à engager l’organisation. Les réponses à cette question ont fait l’objet de notre analyse au point II.
Le recours est fondé c’est-à-dire que la CSJ considère que le juge de la Cour d’Appel s’était trompé et annule l’arrêt de la Cour.
Si l’on arrive à la décision d’annulation de l’arrêt de la Cour d’Appel de Kindu en infirmant ou en mettant à néant pour le tout ou partie, le jugement entrepris, la Cour Suprême de Justice va « statuer à nouveau » en réformant le jugement ou en faisant ce que le premier juge eût dû faire. En claire la CSJ va analyser les arguments de droit des parties et se prononcer sur le fond du dossier. Elle peut annuler l’élection du Gouverneur TUNDA ou confirmer son élection. Tout est possible.
- Combien de temps approximatif peut prendre la fin de ce parcours judiciaire ?
Il y a lieu en dernier d’estimer le temps que peut prendre ce marathon judiciaire.
Ce qui est que l’entrée en fonction du Gouverneur TUNDA est subordonnée à l’investiture par l’Assemblée provinciale ; elle-même subordonnée à la signature d’une ordonnance d’investiture par le Président de la République ; elle aussi subordonnée à la proclamation des résultats définitifs de son élection par la CENI ; elle est également subordonnée à la fin des procès en recours.
Il est difficile d’estimer le délai de réponse définitive à ce procès duquel dépend la suite des autres étapes. En effet la loi ne donne aucun délai d’analyse de recours au niveau d’appel. En effet la loi électorale se limite à donner le délai pour le traitement de recours par le premier juge lorsque dispose à son article 74 alinéa 3 que :
« Pour l’élection présidentielle, la Cour suprême de justice dispose d’un délai de sept jours à compter de la date de sa saisine pour rendre ses décisions. Pour les autres élections, les juridictions compétentes disposent d’un délai de deux mois à compter de la date de leur saisine pour rendre leurs décisions ».
Pouvons-nous assimiler le même délai pour l’instance en appel ? Nous le pensons bien dans ce cas là pour une durée maximale de 2 mois étant donné que le principe général en matière des recours et des contentieux électoraux est qu’ils sont traités toutes affaires cessantes.
C’est ici ou tout semble se jouer si la MP estime que son recours risque de recevoir la décision d’irrecevabilité comme devant la Cour d’Appel de Kindu ou risque d’être déclarée non fondé dans le fond, elle peut exploiter les méandres du droit pour retarder le plus longtemps possible la solution sur l’affaire et ainsi faire perdurer le Gouverneur intérimaire.
Il revient aux avocats du Gouverneur TUNDA de ne pas rester inactifs durant cette d’introduction du dossier à la CSJ qui normalement se fait à la diligence de la MP qui peut prendre du temps pour expédier l’arrêt de Kindu à Kinshasa et faire fixer le dossier devant la CSJ. La partie TUNDA peut dans une certaines mesures s’impliquer pour que le dossier passe rapidement à la CSJ en qu’un arrêt soit prononcé le plus vite possible.
Nous pensons avoir répondu à l’ensemble des questions et restons disposé à travers votre magazine Kinduinfo.net à fournir des éclaircissements là où nous n’avons pas été plus claire ou là où nous avons été trop technique pour ceux qui ne maîtrisent pas le langage du droit car en fait nous avons tout fait pour nous exprimer en français facile tout en respectant la rigueur de la science.
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