Contre les violences électorales au Maniema (RDC) : une interpellation en direction des jeunes

Martin Fayulu, candidat de LAMUKA[1], a été bien reçu partout où il est arrivé sauf au Maniema ![2] Cette situation prend en charge tout le sens du « mystère de la servitude volontaire » que nourrit le fanatisme en politique !

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Réflexion du Professeur Fraternel D. Amuri 

Les violences à Kindu dans la province du Maniema ont fait “huit blessés graves dont quatre par balle réelle”. Ces violences ont opposé des partisans du candidat d’opposition Martin Fayulu, attendu ce dimanche à Kindu pour une réunion électorale, et des personnes se réclamant du Front commun pour le Congo (FCC), la coalition autour du président sortant Joseph Kabila et son candidat Emmanuel Ramazani Shadary, originaire du Maniema. Les pro-Fayulu ont été “attaqués par des groupes de jeunes se réclamant” du FCC et affirmant “vouloir empêcher Fayulu d’y tenir son meeting”, a affirmé sur Twitter le président de l’Acaj, l’avocat Georges Kapiamba.[3]

Est-ce que les fanatiques poussés à barrer la route aux autres candidats sont capables de mesurer et d’assumer les conséquences indésirables de leurs actes sur le vote de leur candidat dans les autres provinces ?[4] Ils viennent d’envoyer un [très] mauvais message vers les autres provinces, particulièrement dans l’Ouest dont le candidat le plus en vue a pourtant démarré sa campagne avec succès à partir de Beni. Il faut préciser que ce territoire est situé au Nord-Kivu, province intégrée dans la grande région appelée de façon générique « le Kivu » dont fait partie le Maniema.

Dès le départ, il faudrait bien comprendre que la grande difficulté du FCC dans le contexte actuel ne vient pas de LAMUKA, mais bien plutôt du Cap pour le changement (CACH) avec le tandem Tshisekedi-Kamerhe dans les deux Kivu (Nord et Sud). Ces deux provinces auraient permis au FCC d’engranger des voix dans l’optique d’une idéologie du terroir (Kivu yetu), en l’absence de Kamerhe comme candidat et d’incessantes tueries enregistrées dans le Nord-Kivu. La province de l’Ituri et celle de la Tshopo dans l’ancienne Province Orientale se sont manifestées comme acquises à LAMUKA. Si Ramazani Shadary a été « accueilli » à Kisangani (Tshopo) par des masses de citoyens lui brandissant le numéro 4 (Fayulu, candidat de LAMUKA)[5], le tandem Tshisekedi-Kamerhe a plutôt été rendu incapable en Ituri de présenter même son programme à cause des cris soutenant « Fayulu, numéro 4 ». Il en a été de même à Kisangani où ce couple Tshisekedi-Kamerhe a été accompagné sous le cri « Fayulu, numéro 4 ».

Même si le fatalisme n’est pas permis pour autant, il faut cependant souligner que le contexte en lui-même est, dans une large mesure, défavorable pour le FCC aussi bien sur le plan national que sur le plan international[6]. Le « discours de la continuité », peu mobilisateur, fait reposer le fardeau du bilan général du régime des Kabila[7] sur le dos du seul individu Shadary. Celui-ci doit affronter des candidats qui n’ont jamais géré la RDC. Pour tout Congolais ordinaire, ces candidats, notamment Fayulu et Tshisekedi, incarnent le changement. Déjà, à Genève, Félix Tshisekedi, par conviction politique ou par simple euphorie, a consacré Fayulu : « Le changement, c’est avec Fayulu ».

Il est, de plus en plus, évident que le FCC n’a pas grand-chose à attendre de l’Ouest aujourd’hui en dépit des déclarations faites par certains de ses idéologues, souvent peu réalistes[8], la dynamique du changement en termes d’alternance politique (et idéologique ?) s’étant imposée comme nécessaire pour retourner à une certaine stabilité. Je dis bien une certaine stabilité car l’Etat congolais restera longtemps le même, donc avec ses faiblesses structurelles que la dépendance des dirigeants perpétuera malgré leurs idées innovatrices et projets ambitieux dans le contexte d’un monde globalisé[9]. Tout de même, c’est tout le monde qui souhaite le changement, surtout quand celui-ci doit prendre place par des mécanismes démocratiques.

La réflexion qui est proposée (plus bas), bien que venant d’un philosophe (philosophe politique) avec une rhétorique prescriptive (par conséquent, prédictive dans ce cas précis)[10], dit beaucoup de choses vraies dans les domaines de la géographie électorale, de l’anthropologie politique, de la sociologie électorale et, of course, de la prospective politique.

En effet, les données de terrain[11] donnant Fayulu comme le favori de l’élection présidentielle, d’une part, et la très malvenue initiative d’empêcher ce candidat de battre campagne à Kindu au Maniema, d’autre part, viennent renforcer le décor de la contestation de résultats des élections attendues, et ce quel que soit le camp vainqueur. Pour n’avoir pas respecté les préalables[12]du processus électoral vis-à-vis des autres partenaires, le FCC ne devrait pas créer un tel incident au Maniema, bastion du régime et terroir de son candidat, Emmanuel Ramazani Shadary[13].

Il ne m’appartient pas dire quoi que ce soit sur le profil de Shadary, car l’intéressé ne passe pas inaperçu, même s’il y a des gens qui persistent à penser qu’il n’est pas très bien connu ! Toutefois, je considère que son cursus professionnel dans les institutions politiques nationales (parlement, gouvernement) suffit à dissiper le doute sur sa visibilité[14]. A juste titre, la montée en flèche de Martin Fayulu depuis la clôture des travaux de Genève en novembre dernier, démontre en temps réel qu’on n’a pas toujours besoin de décennies pour se forger une identité en politique ; les circonstances font parfois très bien l’affaire.

Il est vrai qu’entre la curiosité des électeurs tenant à rencontrer personnellement un candidat peu connu mais subitement devenu populaire (Fayulu) à la suite de la fameuse « trahison » de l’Accord de Genève par Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, ce que d’autres jugent de simpliste, et la manifestation des convictions politiques, il y a une frontière, bien que n’étant pas très lisible. En d’autres termes, le comportement des électeurs le jour du scrutin mérite une attention particulière, surtout quand le candidat de LAMUKA continue à afficher son obstination à participer au vote mais sans machine à voter. Ce jour-là, si par ironie du sort aucune alternative crédible pour le vote n’est trouvée, ce candidat risquera de se transformer en victime de la popularité vécue pendant la campagne : les attentes croissantes des électeurs potentiels finissent par se transformer en frustrations croissantes, conduisant ainsi à des actes incontrôlés de sabotage en guise de sanctions, notamment le changement brutal du choix lors du vote qui peut ainsi profiter à un candidat antérieurement rejeté. Il reste que la rhétorique électorale mobilisée par chaque candidat reflète en partie sa personnalité et les attentes de l’électorat. Evitant de se contredire, Martin Fayulu insiste jusqu’à ce jour sur le rejet de la machine à voter sans renoncer au scrutin du 23 décembre 2018 attendu par les électeurs.

Tout ce à quoi j’invite particulièrement les jeunes[15], c’est la méditation sur leur responsabilité historique, une tâche nécessaire pour chacun d’eux. Je préfère être direct : Comment envisagez-vous votre avenir à partir du présent ? Juste pour vous entraîner à débattre, au niveau individuel, des enjeux des engagements politiques que vous prenez au quotidien. Etes-vous en mesure de me dire ce qui est commun entre les hommes politiques et vous-mêmes ? Vous allez vous rendre compte que vous êtes simplement tous des citoyens, ne serait-ce que sur le plan formel. C’est aussi l’unique point d’égalité entre vous qui devrait renforcer votre indépendance d’esprit.

Vous devriez accepter la compétition dans la transparence parce que vous clamez toujours « ku Maniema hakutoke boyi ». Pour y aller avec assurance, vous devriez vous y préparer sérieusement, pas avec fanatisme ni complaisance. La violence sur la scène électorale est tout simplement inacceptable parce qu’elle dévalorise le jeu démocratique et disqualifie les candidats et les partis qui la pratiquent.

Posez-vous la question : « Qu’est-ce qui permet aux autres citoyens autour de vous, dépourvus de soutiens, de réussir dans leur vie ? ». Avec votre réponse personnelle, vous comprendrez immédiatement que, vous avez une grande marge de manœuvre pour décider de votre avenir en termes de succès ou d’échec. J’ai accompli ma part sur le plan de la responsabilité historique. Mon interpellation ne s’arrête pas aux enjeux des élections qui pointent à l’horizon, elle vaut surtout pour l’avenir en termes de nouveaux regards des jeunes congolais, dont ceux du Maniema, sur l’avenir de leur société c’est-à-dire la responsabilité de ces derniers dans la (re)construction de la société souhaitée demain.

En toute évidence, le Maniema ne peut prétendre faire de quelqu’un un président de la république sans les nombreuses voix des autres provinces. Le Maniema en a certes besoin parce qu’aucune province ne peut en avoir assez pour remporter seule une élection présidentielle. Le FCC n’est pas légalement identifiable à un individu[16], mais vous les jeunes du Maniema, quels que soient votre nombre et votre groupe ethnique, vous ne saurez jamais vous départir de votre statut « d’originaire du Maniema » face à vos compatriotes d’autres provinces. En cette période post-coloniale, il n’existe pas beaucoup de mécanismes légaux pour changer de province d’origine en dehors de circonstances de création de nouvelles provinces par découpage territorial ou par fusion des provinces existantes.

Le souvenir amer de rejet d’un candidat président de la république, pas candidat d’une province, risquera de desservir beaucoup d’autres générations de personnes que vous-mêmes et cela pour rien. Il ne s’agit pas de penser que seuls les ressortissants de Bandundu constitueraient un obstacle sur votre parcours ; il s’agit des acteurs des autres provinces qui éprouveraient le sentiment d’avoir été blessés dans leur amour-propre : en tant que Congolais, chacun jouit d’une même et égale liberté que tout autre compatriote sur l’ensemble du territoire national. Vous ne pouvez pas deviner combien de fois les ressortissants du Maniema ont été confrontés aux attaques[17] du fait de leur assimilation arbitraire aux bénéficiaires du régime dit des Baswahili (« Mi nasema »). Pourtant, à ce que je sache, le terme « Baswahili[18] » ne renvoie à aucune ethnie particulière en RDC. Le drame, c’est que, sans chercher à savoir davantage sur leurs compatriotes, ceux qui s’identifient comme les victimes du régime en place s’en prennent ainsi à ces derniers, pauvres citoyens dont parfois ni la collectivité ni le territoire d’origine ne sont représentés nulle part dans les institutions nationales du pays.

Même dans la diaspora[19], outre les Katangais, les ressortissants du Maniema, plus que ceux d’autres provinces de l’ancien Kivu, sont regardés avec méfiance parce que souvent perçus comme des jouisseurs du régime en place. Est-ce que sous Mobutu il était raisonnable de soutenir que son régime était celui des Bangala ? Avait-on dit un jour, sous Kasa-Vubu, que c’était le régime des Bakongo ? Avec Tshisekedi, père ou fils, dirait-on qu’il était au service des Baluba ? Pourquoi est-on si tenté de croire que cette logique est une réalité légitime en RDC ? L’ethno-nationalisme n’aidera aucune province, aucun bloc, Est ou Ouest soit-il. Les gagnants et les perdants sont toujours les Congolais eux-mêmes et ce, en fonction du choix opéré en âme et conscience entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

Pour rappel, je note que ma réflexion n’est ni une consigne de vote, étant incompétent pour prendre une telle initiative[20], ni une condamnation sans appel du Maniema puisque les autres provinces ne représentent pas le paradis[21]. Il s’agit essentiellement d’un accomplissement du devoir devant la tribune de l’histoire. Je continue donc à jouer mon rôle de formateur sans frontières, sur la dignité humaine et la responsabilité sociale des citoyens par l’analyse objective des situations qui nous préoccupent et qui nous enseignent, tous, la nécessité d’une remise en question.

La vue courte en politique est dangereuse. Hier, en mai 2018, Mulaila, un sénateur du Maniema, a dit : « Après Dieu, c’est Kabila ». Ironie de l’histoire, moins de trois mois plus tard, c’est le président Joseph Kabila lui-même qui rend officiel son engagement de ne pas briguer un troisième mandat présidentiel, lequel était pourtant encouragé par ses nombreux thuriféraires zélés[22]. Quelques semaines après, il propose à sa place un dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary, l’homme qui avait proclamé, sans réserve, la pérennité du règne de son maître en des termes fatalistes : « Kabila a été président, Kabila est président, Kabila restera président »[23]. Kin-Kiey Mulumba, un autre thuriféraire, fait un aveu, peut-être sans s’en rendre compte, sur le rôle nocif de l’élite congolaise en se fondant sur l’expérience du régime Kabila :

‘‘Avant son arrivée au pouvoir, Kabila ne connaissait ni le jeu, ni les joueurs, ni même la langue de Kinshasa[24]. C’est pourtant lui que l’élite a décidé de porter au pouvoir, pour le manipuler. Il a dépensé toute sa jeunesse au service du Congo et l’élite ne l’a pas aidé. Lorsqu’il en a pris conscience, il était encore jeune, mais, déjà, on lui a montré la sortie. Pourtant, dans notre région, l’Afrique centrale, des troisièmes ou quatrièmes mandats ont été accordés au nom de la stabilité et les questions de sécurité. Kabila a été sacrifié[25].

Ecoutons à présent cet intellectuel, compatriote congolais, sur l’élection présidentielle et qui nomme sans réserve le vainqueur. Ses arguments, sans forcément être valables pour tout le monde, devraient cependant contribuer à la méditation de tous les jeunes sur leur avenir, l’objectif n’étant pas de les détourner de leur choix naturel.

ANALYSE DE LÉON ENGULU : MARTIN FAYULU GAGNANT DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

Le choix du FCC sur Ramazani Shadary est un très mauvais choix car il est sous sanctions et n’aura donc pas le soutien de la communauté internationale ni même régionale en cas de contestation des résultats.

Au Maniema Ramazani Shadary a une trop petite assiette électorale de départ avec 1,02 millions d’électeurs alors que les autres candidats partent avec trois ou quatre fois plus de voix de terroirs dans leurs provinces respectives d’origine.

Martin Fayulu part avec une assiette kongophone très importante avec la moitié des électeurs de Kinshasa (soit la moitié de 4.457.019 inscrits), originaires du Grand Bandundu (4.261.202 d’électeurs) et du Kongo Central traditionnellement hostile à Joseph Kabila (1.926.040 électeurs) soit une assiette électorale de 8415751 électeurs.

Félix Tshisekedi part dans les deux Kasaï avec une assiette de 2411233 millions d’électeurs auxquels il faut ajouter le quart lubaphone de Kinshasa soit 1114254 millions d’électeurs issus de l’exode rural kasaïen après l’effondrement de l’activité diamantaire.

Vital Kamerhe dispose d’une assiette de départ de 6418234 électeurs dans le Nord et le Sud-Kivu à laquelle il faudrait ajouter une certaine fraction de l’électorat de Kinshasa, environ 5 % où il jouit d’une certaine popularité.

Après Genève les voix des exclus Jean-Pierre Bemba, dont l’assiette électorale dans le grand Equateur est de 3928190 électeurs; Moïse Katumbi qui peut compter au moins sur la moitié des électeurs du Grand Katanga soit 3612617 électeurs; Antoine Gizenga et Adolphe Muzito avec la moitié de Kinshasa et le Grand Bandundu (soit 6489711 électeurs) vont chez le candidat unique désigné Martin Fayulu qui dispose ainsi d’une assiette électorale totale de 15956558 électeurs avec les reports assurés des voix des exclus.

Il faut noter que la commune kinoise de Kimbanseke compte plus d’habitants (1500000) que le Maniema n’a d’électeurs (1000020) et que la capacité du Grand Bandundu à mobiliser son électorat s’est vérifiée en 2006 et en 2011 au profit de Joseph Kabila, le Palu étant son allié décisif d’alors.

Il faut également noter que l’aire kongophone (l’ancienne province de Léopoldville (Kinshasa, Kongo Central et Grand Bandundu) n’est pas mobilisable pour un candidat issu du Maniema sur un scrutin présidentiel à un tour compte tenu des caractéristiques connues du scrutin majoritaire uninominal à un tour dans un environnement ethnique comme la RDC.

L’aire swahiliphone (Grand Katanga, Grand Kivu) voit ses deux figures majeures Moïse Katumbi et Vital Kamerhe dans l’opposition à Joseph Kabila.

L’aire swahiliphone n’est que très faiblement mobilisable dans un scrutin présidentiel à un tour pour le candidat du FCC Ramazani Shadary compte tenu du fait qu’au Katanga la plupart des leaders réels sont en rupture avec Joseph Kabila (Kyungu etc.) et que Vital Kamerhe exploite le mécontentement des provinces de l’Est en proie aux groupes armés.

L’ancienne Province orientale ne paraît pas exploitable pour le candidat du FCC Ramazani Shadary compte tenu de l’insécurité chronique qui y règne dans certains territoires.

Il faut également observer que la plupart des mouvements citoyens hostiles au régime sont principalement actifs dans les provinces de l’Est (Lucha, Filimbi etc.), compte tenu de l’insécurité chronique qui y prévaut

Si l’on s’en tient à la littérature électorale sur le scrutin majoritaire uninominal à un tour caractérisé par la régionalisation des votes autour des terroirs et groupes ethniques, avec un effet de verrouillage des électeurs poussés au vote de proximité, et un amoindrissement du rôle des partis politiques, Aubin Minaku était le meilleur candidat possible (et le seul) capable d’emporter la présidentielle pour le FCC sans contestation.

Minaku aurait en effet bénéficié d’un soutien automatique de l’aire kongophone (Kinshasa, Grand Bandundu et Kongo Central) mobilisée pour obtenir la présidence avec une très large assiette électorale et le soutient de l’appareil d’Etat cherchant à conserver ses avantages avec le profil d’un président de l’Assemblée nationale en fonction.

Ainsi les intentions de vote attribuées au candidat du FCC Ramazani Shadary par le sondage GEC/Berci proviennent essentiellement de l’entourage sociologique de l’appareil d’Etat (territoriale civile, militaire et sécuritaire contrôlant les administrations provinciales et locales et redevables au pouvoir en place).

À cet égard, c’est essentiellement l’appui du Palu d’Antoine Gizenga et de l’appareil d’Etat qui ont permis à Joseph Kabila de se maintenir à la présidence en 2011, Joseph Kabila étant par ailleurs sur de bonnes perspectives de réformes entre 2006 et 2011, avec des alliés unis autour d’une Majorité Présidentielle solide dirigée alors par Katumba Mwanke et Louis Koyagialo.

Malgré la forte cohésion de la Majorité présidentielle et alliés en 2011 Étienne Tshisekedi aurait été assuré de l’emporter si Léon Kengo n’avait pas gagné la province de l’Equateur où l’effet du vote de terroir à fortement joué, l’électorat de Jean-Pierre Bemba se reportant sur Léon Kengo.

Ainsi les effets caractéristiques du scrutin présidentiel à un tour ont été largement atténués en 2011 en raison de la forte cohésion majoritaire autour de Joseph Kabila, qui avait la pleine maîtrise de l’appareil d’État.

Cette cohésion a volé en éclats entre 2011 et 2018 avec notamment la défection du G7 de Moïse Katumbi, ne laissant en soutien parlementaire à Joseph Kabila que des personnalités de second rang.

Les effets du scrutin présidentiel à un tour où l’électeur vote pour son candidat de terroir, ou du terroir le plus proche, et rarement plus loin que la province d’à côté, vont se faire pleinement sentir en l’absence d’une candidature de Joseph Kabila.

Sur la base de la sociologie électorale et les caractéristiques connues du scrutin majoritaire uninominal à un tour, les candidats majeurs de l’opposition (Martin Fayulu, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe) sont tous mathématiquement mieux placés que le candidat du FCC Ramazani Shadary.

Shadary, jusqu’ici peu connu des Congolais, ne peut compter avec certitude que sur l’électorat du Maniema (encore que Vital Kamerhe n’y soit pas inconnu) et doit aller chercher plus d’une dizaine de millions de voix dans les autres provinces dont les assiettes électorales sont verrouillées et acquises de fait à des candidats de l’opposition bien plus populaires que lui.

C’est mission impossible compte tenu des effets de verrouillage du scrutin majoritaire uninominal à un tour, l’électeur visant au plus juste dans l’intérêt de son terroir.

Martin Fayulu dispose déjà de la majorité relative suffisante pour l’emporter avec une assiette électorale de près de 16 millions d’électeurs en intégrant l’électorat des exclus.

Il ne faut à Fayulu que peu de voix dans les autres provinces pour confirmer sa victoire sur un tour.

La conjonction des forces Gizenga/Muzito, Bemba et Katumbi est suffisante pour donner la victoire à Martin Fayulu.

Il apparaît clairement que l’exclusion de Bemba, Muzito et Gizenga, et l’empêchement de Katumbi étaient de graves erreurs qui démontrent que les stratèges de la Majorité Présidentielle n’ont pas réellement étudié le comportement des électeurs sur un scrutin présidentiel à un tour.

Les candidats exclus auraient en effet chacun “fixé” leurs assiettes électorales et le candidat du FCC aurait eu peu d’efforts à fournir pour atteindre la majorité relative suffisante.

À l’analyse la stratégie du FCC comptant sur les notabilités locales pour mobiliser les voix des terroirs est erronée dans la mesure où les notables provinciaux et locaux ne peuvent d’une part plaider pro domo pour leurs propres candidatures aux législatives et provinciales, et appeler également à voter pour le candidat du Maniema Ramazani Shadary alors que leurs électeurs sont attirés pour la présidentielle par un candidat de terroir, d’une ethnie ou d’une région proche.

On voit ainsi difficilement Aubin Minaku appeler à voter pour Ramazani Shadary contre Martin Fayulu. Ce serait politiquement suicidaire et contraire aux intérêts du Grand Bandundu. D’après les informations qui filtrent des provinces après la première semaine de campagne les notables locaux du FCC ont de grandes difficultés à mobiliser à la fois pour eux-mêmes et pour le candidat Shadary sachant que les scrutins se tiennent le même jour, le 23 décembre.

Au mieux, la stratégie du FCC pourrait lui permettre d’espérer une victoire parlementaire et la Primature pour Ramazani Shadary.

Ces arguments sont présentés sans tenir compte du potentiel de falsification de la machine à voter, qui n’a jamais été testée en RDC, ni de la fiabilité contestée du fichier électoral.

Léon Engulu III

Philosophe,

Agrégé,

Enseigne la pensée contemporaine à l’Université Pédagogique Nationale à Kinshasa.

Pour d’autres détails analytiques sur le processus électoral 2018 suivre mon compte Twitter @engulu3

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10 décembre 2018.

Professeur Fraternel D. Amuri


[1] Terme swahili et lingala qui signifie : « Réveillez-vous ».

[2] Oui, on me retorquera que Alain Shekomba, un autre candidat président, a été aussi victime d’actes de violence lors de sa campagne à Matadi (province du Kongo-Central). D’autres incidents entre partisans du régime en place et ceux de l’opposant Félix Tshisekedi ont déjà eu lieu dans le Kasaï. Quelles que soient les circonstances de lieu et de temps entourant ces incidents, l’on constate simplement que « le mal reste le mal même si tout le monde le fait ». L’on peut même prédire que LAMUKA n’en est pas encore à sa dernière déception de la part des adversaires ; les provinces non encore visitées peuvent lui réserver aussi des surprises jamais soupçonnées dans les pronostics.

[3] Voice of America (VOA), « Elections en RDC : violences dans un fief du pouvoir», 09 décembre 2018, https://www.voaafrique.com/a/elections-en-rdc-violences-dans-un-fief-du-pouvoir/4693323.html [Consulté le 10 décembre 2018]

[4] Sans surprise, si les élections ont lieu, il y aura une baisse du taux de participation des électeurs qui, jusque-là, ne comptaient que voter pour le FCC. Ce sera particulièrement la situation dans les provinces autres que le Maniema, en particulier les provinces des candidats victimes de rejet et/ou de violence d’Etat pendant la campagne électorale. Le doute même sur l’effectivité des élections peut être exprimé à partir de ces développements récents. Que le FCC ne perde pas de vue que, malgré la détermination affichée par la majorité des acteurs d’aller aux élections, les violences perpétrées à l’endroit des adversaires politiques ainsi que les obstructions à l’exercice équitable et libre de leur droit à battre campagne sur l’ensemble du territoire national, risquent de constituer une raison pertinente de leur retrait du processus. Il serait donc contreproductif de court-circuiter un processus que l’on tenait à mener jusqu’au bout. S’agirait-il de démontrer qu’un simulacre de campagne avec violences physiques est le scenario qui était prévu pour provoquer le report sine die des élections ? A qui profiterait le report de ces élections ? La vérité, c’est que, plus il y a des reports, plus les électeurs accroissent leur maturité politique (allant au détriment du régime en place) ; plus il y a de violences et autres formes d’abus, plus les acteurs internationaux renforceront leurs sanctions à l’égard des autorités gouvernementales de la RDC.

[5] La scène de l’Equateur n’est pas non plus intéressante, preuve que les stratégies électorales peinent à produire des effets escomptés et ce, en raison de la complexité des problèmes sociaux non réglés dans les provinces (« l’intérieur »). Les effets de confiscation de ces 40% vitaux de rétrocession due aux provinces se font sentir à l’heure du bilan : entre la continuité et la rupture, il est facile de repérer le regard de l’affamé. Ce dernier veut découvrir le contenu de nouveaux paquets de promesses présentés par de nouveaux acteurs. Les tueries ou massacres dans le Nord-Kivu n’aident pas le candidat FCC. Les sanctions internationales créent le doute dans le chef d’une catégorie d’élites. Ces dernières s’interrogeraient sur l’opportunité de voter pour un candidat dépourvu d’une grande marge de manœuvre au niveau international (l’Occident).

[6] Inutile d’insister sur cette dernière dimension : les sanctions de la communauté internationale qui pèsent sur Emmanuel Ramazani Shadary, viennent d’être maintenues et prolongées jusqu’en décembre 2019. Ces sanctions consistent en un gel d’avoirs et une interdiction de visa pour l’Union européenne (Espace Schengen). Tout cela a un effet psychologique, non négligeable, sur les comportements des électeurs, surtout les indécis parmi les intellectuels qui désormais doivent décider d’apporter leur voix au candidat qui ne leur crée pas le doute : « A quoi bon de voter pour un candidat qui n’a aucune assurance d’exercer pleinement son mandat du fait des sanctions internationales et d’autres menaces potentielles de poursuites, notamment celles de la Cour pénale internationale ?».

[7] Certains acteurs politiques, y compris des intellectuels, remontent délibérément le bilan et les causes des contreperformances du régime actuel, à Laurent-Désiré Kabila et l’AFDL, mouvement politico-militaire qui l’avait amené au pouvoir avec le soutien des forces armées des pays de la région des Grands Lacs africains.

[8] Lors d’une interview à Kinshasa, Justin Bitakwira, parmi les membres zélés du comité stratégique du FCC et ministre du développement rural, parle d’un pays qui serait encerclé, selon sa théorie de la « toile d’araignée », notion équivoque car difficilement concevable dans un pays où même la présence de l’Etat sur l’ensemble de son territoire pose des problèmes. La situation de Beni offre la meilleure illustration à ce sujet ; les corps des citoyens congolais tués dans leur terroir jonchent encore le sol en cette date anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. En fait, l’expression « un pays encerclé » sonne comme « un pays pris en otage », ce qui rappelle les interventions antérieures de l’intéressé tournant en dérision la démocratie en RDC et plaidant en faveur d’une « dictature de développement ». Ce modèle d’autoritarisme, discutable en matière de développement, est simplement compréhensible dans la logique du statu quo. Bitakwira disait qu’il suffirait que l’ordre soit donné pour voir tout le monde exécuter la volonté exprimée d’en-haut. « Il n’y a pas match », Emmanuel Ramazani Shadary a déjà gagné l’élection présidentielle. C’est du triomphalisme dangereux ! Pourtant, le fait d’empêcher Martin Fayulu d’atterrir à Kindu et de battre campagne, renforce la visibilité du problème de popularité du candidat du FCC. Jouant démocratiquement, notamment en laissant toutes les candidates et tous les candidats concurrent(e)s s’émouvoir librement au Maniema, je crois fermement que très peu d’esprits au niveau local se rendraient compte de la minceur de la popularité de leur candidat sous d’autres cieux. Comme le Maniema n’a pas assez de voix à offrir au candidat du FCC, il serait prioritaire de penser comment maintenir l’état d’esprit des candidats aux législatives et provinciales, eux qui ont la charge de battre campagne en faveur de ce candidat président dans leurs provinces respectives, sans courir le risque de se faire éclabousser par les leurs.

[9] Le dossier des ressources stratégiques de la RDC ne permet pas, comme hier, au pays d’avoir un président de la république qui serait libre (pour ne pas dire « totalement libre »), quel que soit le caractère démocratique du scrutin. Tout président qui viendra demain est censé en prendre conscience et c’est tout ce qui explique les appuis extérieurs repérables derrière l’un ou l’autre candidat à travers les jeux d’alliances. Ce qui affaiblit le pays, ce n’est pas forcément cette sorte d’« intrusion permanente» des puissances (un mal congénital affectant toute ancienne colonie) ou des multinationales (qui, rarement, négocient démocratiquement avec les Etats du Sud), mais c’est surtout les abus internes concernant la gouvernance. Malheureusement, alors que le peuple congolais ne demande que le droit de vivre dignement et de s’épanouir dans son pays, les candidats vantent généralement leur nationalisme, sans avoir les moyens d’en assurer une longue espérance de vie dans le contexte actuel du déclin de la plupart des institutions politiques modernes dont l’Etat-providence. Les nationalismes de circonstance ou de survie politique n’enthousiasment personne aujourd’hui, surtout quand on sait que tout nationalisme (dans l’Etat) implique des rapports de force où l’autre (l’extérieur) est perçu, non comme partenaire, mais juste comme représentant du pôle de domination illégitime (impérialisme) que l’on tient à repousser hors-frontières.

[10] Cette logique permet de légitimer, par anticipation et subtilement, la victoire du candidat de LAMUKA sur la base de certains éléments objectifs (contrôlables), bien sûr en s’appuyant aussi sur l’enthousiasme populaire (bien qu’on en ignore les motivations profondes) affiché partout où ce dernier est passé.

[11] Témoignages recueillis auprès des informateurs, observateurs bénévoles du déroulement réel de la campagne électorale en RDC.

[12] Vote avec bulletins papier ou, à titre exceptionnel, consensus autour de la machine à voter, nettoyage du fichier électoral, inclusivité du vote avec participation de toutes les candidates et tous les candidats en droit de l’être…autant de conditions pertinentes consacrées par l’Accord de la Saint-Sylvestre et la loi électorale qui n’ont pas été respectées tout au long de ce processus électoral.

[13] Les effets collatéraux d’une telle maladresse dans les stratégies de campagne du FCC sont incalculables quant à l’avenir en commençant par le Maniema. Si la frustration même des chefs nationaux—fondateurs de partis ou « associés » du FCC et les nombreux intellectuels qui y ont adhéré—peut augurer des démobilisations en chaîne dans toutes les provinces, ici, dans le bastion même du régime (Maniema), persistent encore des ressentiments populaires liés à la gestion chaotique et cynique de la victoire électorale de Tunda Kasongo comme gouverneur de province en mars 2018. Cette confiscation d’une victoire électorale démocratique par la Majorité présidentielle (MP) constituait un précédent fâcheux au processus électoral général au Maniema. Les réactions de la population venue assister au meeting du très populaire Tunda, après son retour de Kinshasa où il était retenu pour éviter que sa présence à Kindu alimente des protestations de masses contre les abus du régime à son égard, en disent long. Ainsi, à l’annonce du nom de dauphin du président de la république par Tunda au public, le rejet sans appel ne s’est pas fait attendre : « Hatumupende ule, usimutaye ule ». (« Nous ne voulons pas de celui-là ; ne le citez [même] pas »). Pour sauver la face, Tunda a dû faire le Ponce Pilate en renvoyant la balle à son audience : « Basi tuchunge élections, munajua ginsi mutafanya » (Attendons alors les élections, vous savez vous-mêmes quelle attitude vous adopterez, le moment venu »).

[14] Visibilité n’est pas forcément synonyme de popularité. Le loyalisme, qui s’apparente à la soumission sans égard à la légalité dans l’exécution des décisions délicates (différent de loyauté), a souvent été souligné pour justifier le choix de Shadary par Kabila comme dauphin. Il y a aussi le poids de tous les dossiers fondant les sanctions européennes qui le prédisposerait à un certain jusqu’au-boutisme comme mécanisme de protection. Lors d’une interview que Tryphon Kin-Kiey Mulumba accorde à Jeune Afrique en sa qualité de candidat président, une question bien spécifique lui est posée : « Emmanuel Ramazani Shadary a-t-il les qualités requises pour diriger ce pays ? ». Voici la réponse : « Je crois que Ramazani a été choisi par le président de la République malgré lui. Le premier choix était [l’ancien Premier ministre] Matata Ponyo. Mais il n’a pas été aidé par les ténors de sa province ». Pierre Boisselet, « RDC – Tryphon Kin-Kiey Mulumba : ‘’Kabila a été victime d’un complot’’ ».

09 octobre 2018 à 15h57

https://www.jeuneafrique.com/640223/politique/rdc-tryphon-kin-kiey-mulumba-kabila-a-ete-victime-dun-complot/

[15] Les jeunes constituent mes principaux destinataires parce qu’ils ont encore du chemin à parcourir devant eux. Je ne compte pas beaucoup sur les adultes ayant déjà accompli une certaine carrière dans la vie publique dans la mesure où leurs attitudes, habitudes et aptitudes dans le domaine politique, sont déjà formattées par des trajectoires de déception ayant dominé l’histoire politique du pays (RDC). Il est difficile, d’un point de vue sociologique et psychologique, à celui qui n’a pas connu le bonheur d’inspirer ceux qui y aspirent, comme il est difficile à ceux qui ont l’expérience du bonheur d’empêcher les autres de le poursuivre. Pour un Etat, cela passe par la politique (gouvernance démocratique). Beaucoup d’adultes déçus préfèrent opter pour le raccourci du type Carpe diem. Ils veulent profiter, coûte que coûte, du temps qui leur reste pour vivre intensément ! Ils se méfient de plus en plus de toute morale en politique, s’estimant eux-mêmes victimes de leur patience dont les politiciens ont abusé à travers différents régimes. Voilà comment le pays est demeuré un grand chantier depuis l’indépendance ! Le long terme ne préoccupe pas la majorité des citoyens, dirigeants et dirigés confondus. La crise de modèles pour la formation du leadership est bien manifeste. La longue liste des candidats relevant du registre des arts est éloquente à cet égard : trop de musiciens et d’acteurs de théâtre comme candidats députés nationaux ou provinciaux. Il y a aussi les représentants des pauvres, « candidats ya ba bola ». Il y a des pasteurs candidats présidents. Comme qui dirait : « Arrêtons de nous plaindre, allons-y tous pour prendre notre part » (banalisation). Personne n’y va par vocation parce que celle-ci n’est jamais improvisée et elle se manifeste très tôt chez les acteurs qui en ont l’étoffe.

[16] C’est un vaste réseau constitué à la fois d’individus et de groupes, incarné par son « autorité morale ».

[17] Je n’évoque pas la violence physique, mais plutôt des critiques verbales acerbes débouchant parfois sur des échanges peu courtois lorsque les deux parties se défendent pour régler un malentendu. La méfiance est bien visible dans nombre de circonstances et il est possible d’établir une corrélation entre les moments de tensions au pays et l’état de relations entre membres de la diaspora. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication mettent les diasporas en phase avec les événements, heureux ou malheureux, connus au pays. Toutes les Congolaises et tous les Congolais suivent les séquences de campagne, les déclarations des candidats et leurs partis, et reçoivent de manière instantanée les images en mode vidéo de toute situation jugée d’une certaine importance.

[18] Objectivement, le swahili est une langue nationale en RDC qui dépasse le cadre des identités ethniques, fait culturel et historique qui passe pour incompréhensible aux yeux des Congolais attachés aux autres langues nationales.

[19] J’aime parler de “diasporas congolaises” puisqu’il n’en existe pas une (seule) qui soit cohérente, soudée et inclusive de tous les groupes. Les clivages ethno-politiques observés au pays, sont visibles parmi les Congolais et Congolaises de ces diasporas où qu’elles se trouvent. Il y a toujours un discours unificateur de façade qui sert insidieusement les intérêts de certains groupes ethniques ou ethno-provinciaux dans chaque diaspora congolaise. Une sociologie politique des diasporas congolaises permet de relever, par exemple, que dans leur majorité, les groupes les plus actifs s’identifient comme les seuls vrais et meilleurs opposants au régime, au point d’ignorer la lutte de tous ceux qui les y avaient parfois précédés, tout simplement parce que ces derniers sont identifiés comme étant de l’Est. Voilà le piège de l’ethno-nationalisme et du fanatisme en politique. Au plus haut niveau et de manière globale, c’est juste la conséquence logique d’une gouvernance qui n’est pas démocratique et inclusive de l’Etat. Du pays, il est facile de repérer les clivages dans le caractère homogène de bon nombre d’organisations présentées comme relevant de la société civile (églises, ONG des droits de l’homme et de développement). Il en est de même de certains partis politiques. Voilà tout ce à quoi les Congolaises et les Congolais mobilisent leurs compétences et énergies, parfois au détriment des objectifs poursuivis. La scène offerte par les médias est encore plus malsaine et horrible : les chaînes de radio et de télévision ainsi que les journaux (presse écrite) aussi bien au pays qu’à l’étranger, révèlent l’identité des groupes propriétaires, le type de discours qui y sont tenus et la cause qu’ils servent. Les commentaires apparaissant sous les émissions ou les articles publiés constituent l’illustration parfaite d’une société congolaise traversée par des clivages profonds et dangereux pour la société et les dirigeants du pays (problématique de la paix durable). Pour le régime de Kinshasa, la diaspora congolaise n’est constituée que d’opposants ; on a ainsi supprimé le droit de vote pour ces derniers. En fait, le régime n’est pas attentif à ce genre de problèmes.

[20] Je ne suis ni (co)fondateur ni membre d’un quelconque parti politique. Ma seule motivation : « exprimer mon refus de l’opprobre d’une condamnation collective du silence ou de l’indifférence de l’élite intellectuelle congolaise en général et du Maniema en particulier face à ce qui paraît comme une trahison de l’unité nationale ».

[21] Je n’ignore pas les préjugés négatifs et les nombreux abus de certains compatriotes (les individus, non les groupes ethniques), ressortissants d’autres provinces ou parties du pays. J’en ai des expériences cruelles dans ma trajectoire professionnelle. Qu’on ne rappelle pas les propos du genre « Batu ya Kivu wana, bazali kaka bango nyonso de vrais Rwandais », que certains attribuent à Martin Fayulu (datant de 2006, dans quelles circonstances ?). Je ne minimise pas les faits, mais je n’en sais pas très bien. Le moins que l’on puisse dire, c’est que rien ne changera dans le pays si les griefs portant sur des actes et préjugés d’individus (cas isolés) sont imputés à toute une province ou une ethnie, jusqu’à devenir cycliques dans le temps en fonction de régimes (tour na biso ou tour yetu). Chez eux (Où ?) : Kinshasa est la capitale du pays appelé RDC. En fait, à Kinshasa, tout le monde est Kinois, même si l’on s’efforce de développer une typologie binaire : « vrais Kinois » et « faux Kinois ». Inutile de dire : « Ils nous font ceci ou cela ; quand j’étais dans le Bas-Congo ou dans le Bandundu, ces gens-là, c’est toujours pangi na munu ». Non, il faut arrêter ça. Ce qui importe, c’est de respecter le statut de citoyen reconnu à chaque Congolais dans son pays, la RDC. Si le jour du vote quelqu’un tient à faire honneur à sa province ou son territoire, à célébrer son ethnie ou son clan, il peut organiser une cérémonie et y inviter les siens. Personne ne le détournera de son vote, surtout que celui-ci est secret. Il devra cependant évaluer dans son secret avec Dieu, avant de poser cet acte éminemment politique, le vote, voir si son acte à un sens par rapport à son avenir et celui de sa société (Nation congolaise). C’est aussi cela l’éthique de la responsabilité. Si on veut assimiler un candidat, le réduire à sa province d’origine ou son ethnie ou le cloisonner dans l’un ou l’autre de ces faux blocs idéologiques (Est-Ouest) qui n’existent que dans l’esprit des bénéficiaires d’une telle manipulation, jusqu’à ignorer ce qu’il peut apporter comme contribution à la vie institutionnelle du pays, c’est que la société congolaise est décidément engagée sur la voie du suicide collectif. Parmi les Bakongo, Les rêveurs d’un royaume Kongo du temps de Nzinga-a-Kuvu sont et seront toujours là, mais il leur est difficile de créer un Etat réel dans le format de cet ancien et prestigieux royaume remontant au 13e siècle. Pour réussir un tel projet, il faudra aller à la reconquête du Congo-Brazzaville et de l’Angola, ce dernier pays étant bâti sur les ruines de Mbanza-Kongo, la capitale du royaume Kongo. Les Baluba, de leur côté, bien qu’affichant la fierté d’être identifiés comme les Juifs du Congo (BaYuda ya Congo), n’ont jamais envisagé la création d’un empire qui leur permettrait de consolider la nation luba. L’ethno-nationalisme ne représente qu’un des meilleurs alibis, un axe par lequel la reconfiguration géopolitique et géostratégique de la RDC sera rendue possible demain. Le peuple congolais finira par être divisé si cette dégradation lente et sournoise de son vouloir-vivre collectif n’est pas arrêtée par des actions courageuses et patriotiques des leaders pragmatiques. A ce sujet, il est fondamental de souligner que ce sont les élites qui sont souvent à la manœuvre, aussi bien dans la capitale que dans les provinces pour diviser et opposer les citoyens en vue de satisfaire leurs intérêts de tout genre. Les pratiques néo-patrimoniales dans la politique congolaise ont beaucoup prospéré, les masses pauvres et les élites locales étant réduites au rang de clients appelés à apporter leurs soutiens aux élites dominant les instances du pouvoir politique. Ces dernières proposent, en contrepartie, des avantages matériels (argent, services sociaux) et des postes dans les différentes administrations relevant de l’Etat.

[22] C’est encore le même sénateur qui ajoute, lors de sa sortie médiatique de mai 2018, « Kabila est là, il sera là et il est là, il a été là ». « Si vous voulez rester en RDC, pays où il fait beau vivre et vous voulez qu’il y ait paix, la paix c’est Kabila, l’avenir de la République c’est Kabila ». Tryphon Kin-Kiey Mulumba crée même une association sans but lucratif dénommée « Kabila Désir ». Evariste Boshab, un architecte du régime qui s’illustre comme le précurseur du projet de continuité, écrit anticipativement un ouvrage aux accents apocalyptiques : Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation. En marge de l’ouvrage de Boshab, un certain Claude Mashala annonce son idée aux allures téméraires, celle du référendum pour une nouvelle Constitution par révision dans ses articles verrouillés (fraude à la constitution) afin de permettre au Chef de l’Etat de parachever ses chantiers (Emergence en 2030, Développement en 2050). Il se présente ainsi comme faisant partie des « durs » (« kabilistes purs et durs »). Les prétentions de ces derniers architectes se refroidissent face à la résistance populaire non-violente malgré les tueries enregistrées à cause d’une loi électorale amalgamée.

[23] Mediacongo.net, « Joseph Kabila est et restera président », tranche Ramazani Shadary »,10 mai 2018, https://www.mediacongo.net/article-actualite 38224_joseph_kabila_est_et_restera_president_tranche_ramazani_shadary.html [Consulté le 10 décembre 2018]

[24] L’expérience de Félix Tshisekedi et de Martin Fayulu dans l’Est de la RDC est riche d’enseignements sur l’épineuse question de la communication politique des candidats présidents congolais : ils ont dû s’exprimer en français et se faire traduire pour conférer avec leurs électorats respectifs sans que cela suscite des jugements allant dans le sens de diluer leur popularité. Kinshasa n’offre donc pas la meilleure mesure de la citoyenneté. Un président qui n’aurait jamais l’occasion d’échanger directement avec la grande majorité de la population swahiliphone concentrée dans l’Est du pays, serait-il jugé politiquement incompétent ? Je pense que non.

[25] Pierre Boisselet, article cité. C’est moi qui souligne pour mettre en évidence l’hypocrisie de l’élite politique congolaise. Un « intellectuel » (intello-politicien) qui pense que Kabila a été sacrifié par la communauté internationale pour avoir exercé beaucoup de pressions sur lui afin qu’il ne brigue pas un troisième mandat. Kin-Kiey ne fait que confirmer la volonté manifeste des intellectuels de continuer à nuire à la vie de toute la nation congolaise. En quoi la limitation de mandats constitue une frustration pour un président qui a régné 18 ans à la tête d’un Etat aspirant à une consolidation démocratique ? On y décèle aussi le mensonge du prétendu clivage Est-Ouest : si Kin-Kiey était préoccupé par la gouvernance démocratique qui profiterait à tous, serait-il amené à préconiser des mandats supplémentaires à Joseph Kabila ? Il est donc de ceux qui l’ont roulé et condamné à un certain isolement diplomatique par l’Occident ainsi que les sanctions qui pèsent sur certaines personnalités politiques de son régime.

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